12/04/2023 -

Village vertical

- Nouvel article sur le logement social et les processus de conception collective. Il s’agit du premier chapitre d’un développement en plusieurs volets ! Illustration : Constance Bodenez

LE VILLAGE VERTICAL

> lien vers le PDF : https://ateliertlpa.com/IMG/pdf/05__article_atelier_tlpa.pdf

Cet article jette les bases d’une réflexion sur le logement social et les processus de prise en compte des pratiques habitantes dans la conception architecturale, qui se développera en plusieurs temps. Mettre en regard le logement social et la participation habitante, c’est plonger dans des méandres opérationnels délicats et des débats professionnels doctrinaux qui rendent la rencontre de ces deux sujets passionnante. Si cet objet de recherche émerge à l’Atelier TLPA aujourd’hui, c’est parce que plusieurs projets (l’Acadie à Quimper, Le Contrepoint à Lorient), en cours à l’agence, expérimentent l’emboîtement d’une conception architecturale partagée avec les futurs habitants dans des projets de logements sociaux collectifs (en locatif et en accession). Ce n’est pas parfait - mais ça ouvre des pistes de réflexion !

Ce premier chapitre se donne pour objectif de camper des constats généraux sur le logement collectif, et plus précisément le logement collectif social, et les processus de participation. Il s’agit de comprendre les obstacles principaux empêchant une massification des expériences allant dans le sens d’une conception partagée dans des projets « classiques1 » portés par des bailleurs sociaux. Il présentera également des expérimentations à des stades de projet différents. Suite à ce premier article « cadre », deux autres chapitres viendront approfondir d’un côté les freins opérationnels, d’un autre la question de « l’habiter », de l’usage et de la prise en compte des savoirs habitants.

Comment réinstaurer une triple alliance entre le projet social porté par les bailleurs, celui d’un droit au « logement pour tous », la montée en puissance de la démocratie participative de la part des habitants qui souhaitent participer à leur cadre de vie et des architectes convaincus par les bienfaits d’une conception collective et partagée ?

Des constats…

La préférence des Français2 en matière de logement se situe encore et toujours dans la maison individuelle, de préférence isolée et sans voisinage. Cette inclination se fait au bénéfice d’une désaffection pour le logement collectif dont la forme urbaine entend pourtant répondre aux injonctions à la densification et au « Zéro Artificialisation Nette ». L’objet de cet article ne porte pas sur la culpabilisation de cette préférence, « souvent décriée pour ses conséquences environnementales3 » mais sur la compréhension de ses motivations. Est-ce la forme (de la maison) qui est recherchée ou la liberté de concevoir son espace de vie, liberté offerte de manière très relative par les constructeurs de maisons individuelles ? Autrement dit, quel désir réel se cache derrière cette tendance pavillonnaire ?

Ce rejet massif du logement collectif trouve un éclairage nouveau par l’émergence de plusieurs rapports4 récents portés sur la qualité architecturale des logements collectifs construits sur les dernières décennies et pointant du doigt la dégradation de celle-ci. Deux de ses rapports embrassent sans distinction les logements collectifs du parc social et du parc privé, tandis que le rapport Lemas5 fait un focus sur les logements sociaux. Cependant, les constats établis dans ces rapports, faisant l’état de cette dégradation, sont sensiblement similaires - abaissement des surfaces, logements mal orientés, mal desservis, peu flexibles, etc. - et les pistes d’amélioration connexes - reconquête des valeurs d’usage et d’habitabilité, nécessité d’intégrer la question de la transition écologique dans la conception, mise en réseau des acteurs du logement, mise en place de processus de participation, etc.

Ce délabrement manifeste de l’espace du logement collectif sonne comme la conséquence finale d’une vision financière et quantitative du logement, avec, du côté des opérateurs agissant dans le parc privé, une tendance à réduire le logement à un produit financier et, du côté du logement social, une injonction à construire rapidement et en quantité6. D’autres paramètres pouvant expliquer cette dégradation sont mis en exergue dans les rapports comme la dislocation entre le couple maîtrise d’ouvrage/maîtrise d’œuvre, et donc « l’éloignement (...) du destinataire et du commanditaire7 », induit par la VEFA-HLM8.

« En y ayant recours, le bailleur aurait tendance à perdre la main sur le sujet de la qualité alors qu’en tant que maître d’ouvrage, il en est seul responsable.9 »

Plus largement, un phénomène de standardisation du logement fait régresser le développement d’un travail sur « l’habiter » de la part des architectes, travail pouvant aboutir à l’existence de plans de logement variés, éclectiques, empruntant tout à la fois à l’environnement du projet et à la culture habitante. Outre la question budgétaire, cette situation s’inscrit dans une réduction des libertés de conception entraînée par des normes et exigences réglementaires, qui garantissent confort et inclusivité dans l’accès au logement certes, mais qui multiplient également les expertises associées au dessin de celui-ci et, par extension, les contraintes.

Cette standardisation est également l’héritière d’une vision de la part des acteurs du logement social, qui voient dans les HLM une étape dans le parcours résidentiel des habitants vers le parc privé10, logements qui, de ce fait, doivent être facilement transmissibles. Cette politique de passation entre locataires est incarnée dans la pensée spatiale du logement, en partant de l’hypothèse que l’habitabilité du logement se trouverait dans son caractère générique, ou d’« identiquité » selon les termes de Daniel Pinson développés à propos des Grands Ensembles.

Au-delà du caractère aliénant de cette standardisation sur la liberté de conception, il est important de se poser la question de l’adéquation de cette sérialité avec la réalité des pratiques habitantes. En effet, le visage des ménages s’est largement diversifié et tend à s’écarter du modèle11 de la famille nucléaire : famille monoparentale, couples sans enfants, etc. Ajoutons à cela les pratiques croissantes de travail à domicile, facilitées par le numérique et massifiées par le COVID-19, qui contribuent à faire éclater la pertinence des typologies figées appliquées au logement collectif.

De nombreux constats sont également à évoquer concernant les processus de participation dans les projets de conception. En tant qu’agence constituée d’architectes et d’urbanistes, l’Atelier TLPA est accoutumé aux projets impliquant des processus de participation des usagers et habitants à l’échelle urbaine. Parce que la pratique s’institutionnalise, parce que c’est une conviction. Cet avènement de la démocratie participative dans les projets urbains n’est pas sans conséquence sur les professionnels de l’aménagement qui se retrouvent à échanger avec une ingénierie sociale, en d’autres termes avec les usagers ou habitants, avec qui ils n’ont pas l’habitude de « négocier ».

Projet d’habitat participatif Écocum à Loperhet

Dans la sphère architecturale et plus précisément sur des programmes de logement collectif, puisque c’est l’objet de l’article, l’implication des habitants sous forme participative est plus rare à quelques exceptions près :

 sur des projets d’initiative privée et à petite échelle, à l’instar des projets d’habitat participatif qui se développent de plus en plus sur le territoire français ;
 sur des projets de réhabilitation et ou rénovation du parc de logements sociaux construit après-guerre, s’inspirant des processus développés justement par l’habitat participatif (la rénovation d’un ensemble d’immeuble en concertation au Relecq-Kerhuon, résidence le Vieux-Kerhorre, en est l’exemple).

Rénovation d’un ensemble d’immeuble en concertation au Relecq-Kerhuon

Cependant, une très faible part de projets d’habitat collectif neuf, d’une échelle supérieure à 20 logements12, portés par des bailleurs sociaux, se fait de manière collective. Lorsque c’est le cas, le processus participatif porte principalement sur les espaces communs en dépit d’un travail sur les logements en eux-mêmes.

« Néanmoins, l’habitat participatif est resté à ce jour principalement d’initiative privée, réservé à des publics accédants, solvables sur le marché conventionnel de l’immobilier. Très peu de projets sont parvenus à intégrer des outils institutionnels d’aide au logement. Et ce malgré des aspirations à une “mixité sociale“, généralement formulées par les participants.13 »

Il faut quand même reconnaître l’implication d’organismes HLM, particulièrement sous la forme de coop’HLM, mais aussi à de rares occasions de promoteurs privés, dans des projets d’habitat participatif. Cependant, cette implication ne permet pas de globaliser les processus inventés dans le cadre de l’habitat participatif à des projets plus importants, à l’initiative des bailleurs sociaux et incluant du locatif social. En effet, les freins opposés à cette massification sont multiples et majoritairement liés aux objectifs calendaires et économiques des opérations portées par les bailleurs sociaux. Ils sont également idéologiques et méthodologiques du côté de concepteurs peu enclins ou rompus à l’exercice du partage de leur expertise spatiale et outillés pour mener des processus de « conception collective14 ». Ce point saillant sera par ailleurs développé dans un prochain article.

…et des expérimentations !

En 2017, l’Atelier TLPA remporte un concours lancé par le Logis Breton15 pour du logement collectif sur une parcelle située à proximité du centre de Quimper. Le cadre du concours est vu par l’agence comme une opportunité d’expérimenter et de transposer l’expérience participative accumulée dans les projets d’études urbaines à un projet d’habitat social. Il s’inscrit également dans le prolongement des processus de participation habitante développés à l’occasion du projet d’habitat groupé participatif « Ecocum » à Loperhet (29), l’un des projets fondateurs de la pratique actuelle de l’agence.

Le projet, d’une quarantaine de logements et nommé « l’Acadie », envisage de mettre en œuvre une multitude de principes peu courants, voire uniques, dans les mécanismes actuels de production de logements collectifs sociaux :
 une structure bâtie mixte bois-béton, évolutive permettant des possibilités d’extensions futures à tous les niveaux ;
 une conception collaborative des logements et des façades du bâtiment, ainsi que des locaux communs.

Atelier de conception collective des espaces communs à Quimper pour le projet de l’Acadie

Le parti-pris est celui du sur-mesure, un pied de nez à la standardisation chronique des logements collectifs, accessible à tous sans distinction d’accès au logement, c’est-à-dire pour les logements en accession à la propriété et les logements en locatif social. La conception partagée va bien au-delà de la simple demande de TMA (Travaux Modificatifs Acquéreurs) que l’on retrouve généralement dans les projets réalisés en VEFA. D’abord parce que cette pratique est rarement saisie comme une opportunité de co-conception impliquant un échange horizontal entre architectes et habitants. Également car ce temps arrive tardivement dans le calendrier du projet (en phase de consultations des entreprises voire en phase chantier) et est plutôt perçu de la part des opérateurs comme un moyen de fidéliser le futur acquéreur et de la part des architectes comme un grain de sable dans les rouages de projets déjà complexes.

Les partis pris de l’Acadie impliquent de reconfigurer le développement d’un projet architectural, échafaudé autour du couple maître d’ouvrage/maître d’œuvre, en introduisant l’habitant au cœur de celui-ci. Le projet n’est plus envisagé comme une finalité figée et entendue entre l’architecte et le bailleur social, mais comme un processus partagé entre des habitants et des concepteurs qui partagent culture habitante et savoirs professionnels au sein d’un espace bâti.

Cette remise en question n’a pas été sans oppositions et a engendré plusieurs difficultés méthodologiques, calendaires, juridiques, idéologiques et budgétaires :

 Méthodologiques car le projet de l’Acadie représente 40 logements, 20 en accession sociale et 20 en locatif. La mise en place d’un processus de concertation à si grande échelle sur des questions architecturales aussi pointues et intimes que celles de l’habitat est un défi auquel ni le Logis Breton ni l’Atelier TLPA n’avaient été confronté ;
 Calendaires car le planning d’attribution des logements s’opère généralement après la phase PRO du projet, autrement dit quand tout est déjà figé, empêchant un processus de participation en amont du dessin ;
 Juridiques car le projet prétend attribuer des logements locatifs sociaux avant le Permis de Construire, permettre des extensions futures dans la co-propriété à tous les étages, ou organiser la gestion communes d’espaces bâtis ou non-bâtis ;
 Idéologiques car « à quoi ça sert tout ça ? » ;
 Budgétaires car « mais ça va coûter combien de faire les choses différemment ? ».

Si ce projet pionnier, aujourd’hui en fin de construction, a essuyé les plâtres de l’inconnu, il constitue néanmoins une base de tentatives, de succès, d’échecs, en d’autres termes une référence solide pour initier et engager des expériences similaires. D’autres projets en gestation s’inscrivent dans cette lignée de conception partagée, notamment le projet « Le Contrepoint » à Lorient d’une échelle encore plus importante. Plus globalement, la question d’un habitat social collaboratif prend de l’ampleur partout en France en s’appuyant sur les processus développés par l’habitat participatif mais aussi car les documents d’urbanisme tendent à être incitatifs sur le sujet (PLH de Rennes par exemple).

Cet article ne prétend pas répondre à ce sujet vaste et passionnant. Il est tout à la fois témoignage car les retours d’expériences se font rares, jalon d’un cheminement de pensée en construction sur le sujet et prise de recul sur les expérimentations en cours. Persuadé que le logement collectif peut être un espace de déploiement d’un habitat enthousiasmant, pluriel, évolutif, sur-mesure, l’Atelier TLPA poursuit des expériences en ce sens en ajustant ses pratiques, et proposera bientôt sa méthode et ses outils en licence Creative Commons. L’idée d’un village vertical, alternative souhaitable à la maison individuelle, est un leitmotiv qui esquisse petit à petit un positionnement de l’atelier dans les enjeux actuels. Le but n’est pas tant de répondre à une injonction à la densité, mais de (re)susciter le désir du logement collectif et des richesses sociale et spatiale qu’il peut offrir.

À suivre…

1. Par classique, nous ciblons les projets lancés à l’initiative d’un bailleur social dans le cadre des procédures de passation des marchés de maîtrise d’œuvre

2. J. Damon, « Les Français et l’habitat individuel : préférences révélées et déclarées », SociologieS [En ligne], Dossiers, mis en ligne le 21 février 2017, consulté le 12 avril 2023. / J.M. Stébé, « La préférence française pour le pavillon », Constructif, vol. 57, no. 3, 2020, pp. 25-28.

3. J. Damon, « Les Français et l’habitat individuel : préférences révélées et déclarées », SociologieS [En ligne], Dossiers, mis en ligne le 21 février 2017, consulté le 12 avril 2023.

4. Rapport de Pierre-René Lemas (2020), Laurent Girometti et François Leclercq (2021) et d’IDHEAL (2021).

5. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/RAPPORT%20LEMAS%20-%20PROPOSITIONS.pdf

6. La pénurie de logement est frappante dans certains départements, comme celui du Finistère. L’article de Le Monde intitulé « Se loger est devenu si compliqué dans le Finistère que certains résidents doivent vivre au camping », paru en février 2023 décrit bien cette situation visible dans le parc de logement privé et public.

7. D. Pinson, « L’architecture habitée », Les Cahiers du LAUA, N°2, 1994, page 16

8. Elle consiste en la réalisation par des promoteurs immobiliers privés de logements sociaux vendus «  en état futur d’achèvement   » à des bailleurs sociaux, Olivier Chadoin, 2021

9. Rapport de la mission sur la qualité du logement, Laurent Girometti et François Leclercq (2021), page 26

10. Hypothèse mise à mal par les chiffres récents sur la rotation du parc locatif social qui sont aujourd’hui très faibles. Le logement social locatif devient un logement de longue durée, voire pour la vie.

11. En 2016, le ménage correspondant à un couple avec enfant(s) représente 25% des ménages, contre presque 32% en 1999. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277630?sommaire=4318291

12. Selon le rapport de intitulé « Evolution statistique de l’Habitat Participatif en France », la moyenne des logements par opération dans l’habitat participatif est de 10 logements, avec un maximum à 18 dans des projets faisant intervenir des organismes HLM

13. O. Cencetti, S. Lanoë, C. Rocheron, Étude sur l’habitat participatif et solidaire, 2016, page 6

14. Coll., Projets urbains : Expertises, concertation et conception, CAHIER RAMAU n°4, page 17

15. Coopérative HLM basée à Quimper et agissant en Bretagne. https://www.lelogisbreton.bzh/

Références de l’article :

 Coll., Projets urbains : Expertises, concertation et conception, CAHIER RAMAU n°4, page 17

 D. Pinson, « L’architecture habitée », Les Cahiers du LAUA, N°2, 1994

 J. Damon, « Les Français et l’habitat individuel : préférences révélées et déclarées », SociologieS [En ligne], Dossiers, mis en ligne le 21 février 2017, consulté le 12 avril 2023.

 J.M. Stébé, « La préférence française pour le pavillon », Constructif, vol. 57, no. 3, 2020, pp. 25-28.

 O. Cencetti, S. Lanoë, C. Rocheron, Étude sur l’habitat participatif et solidaire, 2016, https://base.socioeco.org/docs/habitat-participatif-et-solidaire_2015.pdf

 Rapport Lemas sur la qualité des logements sociaux, Pierre René Lemas, https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/RAPPORT%20LEMAS%20-%20PROPOSITIONS.pdf

 Rapport de la mission sur la qualité du logement, Laurent Girometti et François Leclercq, https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20Mission%20Logement%20210904.pdf

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