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« Le monde n’est pas malade, il enfante1 »
Biodiversité et climat sont bouleversés, de plus en plus d’humains vivent sur la Terre, et de plus en plus vieux, et l’argent-roi conforte une société essentiellement basée sur la consommation. A partir de ce constat, avons nous vraiment le choix entre laisser faire ou agir ?
Nous vivons dans un monde en transition, et cette transition est une aventure du quotidien.
Le rôle social de l’architecte
Pour se comprendre, partons de quelques constats. Il y a bien sur des questions très actuelles liées à une démographie qui évolue, à une transition écologique qui s’organise, à une société qui cherche parfois à sortir d’une logique pyramidale. Il y a aussi depuis longtemps une standardisation de la production architecturale, une banalisation des paysages. En effet comment ne pas se perdre dans un espace commercial périphérique, un lotissement, un parc d’activité ? Ils se ressemblent tous…
Il y a enfin une société qui se tend devant une recrudescence de la fracture entre les « élites » et les autres… Pour retrouver un équilibre et un chemin, nous sommes, tous ensemble, devant une équation à résoudre.
En tant qu’urbanistes, paysagistes et architectes, nous avons une responsabilité dans ces constats, et donc un grand rôle à jouer dans la transition qui naît. Urbanisme et Architecture sont les noms que l’on donne aux actes de concevoir nos espaces de vie. Ces actes sont aujourd’hui souvent confisqués par certains et subis par les autres. Or, ils sont constitutifs de notre humanité ! Il est essentiel que chacun puisse réfléchir à notre espace commun, puisque chacun vit cet espace. C’est une forme de citoyenneté à (re)trouver.
« Faire ensemble pour mieux vivre ensemble. La figure du groupe paraît plus à même d’ouvrir des faisceaux de recherches, en lieu et place d’un concepteur bien en vue imposant une vision unilatérale.2 »
Mais alors le statut du concepteur est-il obsolescent ? Il ne le sera pas si nous, architectes et urbanistes, nous mettons en transition aussi.
Faire ensemble ?
Certains architectes travaillent depuis plusieurs décennies à expérimenter d’autres manières de faire, tournées vers les usagers, comme Lucien Kroll, puis Patrick Bouchain et l’atelier Construire, et aujourd’hui de nombreux collectifs ou ateliers de jeunes architectes, paysagistes et urbanistes. Ce mouvement me paraît tenter d’inventer une voie nouvelle, qui regarde le mouvement moderne, la société industrielle, comme des concepts dépassés. Et qui croit en la capacité de dessiner ensemble des espaces plus justes.
Edith Hallauer dit penser « que la participation pour Simone et Lucien Kroll n’est qu’un outil, au service d’autres chose : l’expression de la complexité humaine, qui est leur vrai sujet3 ».
Enfin chez soi… Réhabilitation de préfabriqués, Berlin-Hellersdorf, Allemagne, 1994 - © Atelier Lucien Kroll ©ADAGP / Source : AMC ARCHI
Et cette idée est parlante, elle semble même dire un peu « pourquoi » nous faisons les choses comme nous les faisons.
Le travail du concepteur serait alors une recherche de processus pour libérer l’architecture et l’urbanisme du dirigiste-simpliste-standardisé et en faire une meilleure « expression de la complexité humaine ».
La participation aux projet d’urbanisme et d’architecture peut devenir un outil au service de l’expression de cette complexité. Il n’est probablement pas nécessaire d’avoir recours aux intelligences artificielles, quand tant d’intelligences sont déjà prêtes, motivées et disponibles. Nous souffrons ensemble du simplisme, du dirigisme, du formaté, du standardisé. Ces notions ont menées architecture et urbanisme à un fonctionnalisme industrialisable mais déshumanisé. Et même déshumanisant. L’égalité par la standardisation nous rend malades, car nous sommes tous différents. Il n’est pas surprenant qu’en retour la population dise bien souvent son désaccord.
Bon, et concrètement ?
S’il est illusoire de croire que demain, et sans transition, urbanisme et architecture re-deviennent l’affaire de chacun au quotidien, ce doit être notre objectif commun. Il convient alors de construire les étapes de ce retour à une architecture partagée, et avant même de dessiner une feuille de route, menons des expériences !
Par exemple, l’habitat participatif concerne aujourd’hui très peu de gens, car dans sa formule à l’initiative des habitants, le projet est à construire dans sa totalité, et cela prend des années. Mais nous pouvons expérimenter d’autres formules, comme par exemple proposer une trame structurelle définie, dans laquelle chaque futur habitant vient dessiner son logement avec l’architecte, et co-concevoir les espaces communs avec ses futurs voisins, participant ainsi à un immeuble ou à un quartier original, non standardisé, et souvent enthousiasmant. C’est ce qu’avait mis en place l’architecte Frei Otto à Berlin dans les années 60, c’est ce que nous tentons, d’une manière différente encore, dans le cadre du projet Acadie à Quimper avec le Logis Breton.
Ökohaus de Frei Otto, Berlin, IBA de 1987 / Source : nicolasrouge.blogspot.com
Réunion publique autour du projet de l’Acadie à Quimper. La maquette du projet est une maquette « à habiter », chaque habitant locataire ou futur propriétaire pouvant y glisser son logement. / Source : atelier TLPA
L’espace public, les rues, les places, devraient être le coeur de ce qui fait société entre nous tous, mais il est souvent d’abord occupé par la voiture, et laisse peu de place aux piétons, aux arbres, aux animaux. Alors reposons les problèmes par l’usage, en se mettant à l’écoute de ceux pour qui l’on dessine, pour qui l’on invente. C’est ainsi que des agences et collectifs de paysagistes, comme récemment BIVOUAC au Cloitre-Saint-Thegonnec, ONESIME à Plounéour-Menez ou à Brest, ou FIL à Nantes, transforment des places de village ou de métropoles pour en libérer les usages, après avoir longtemps écouté les riverains, et enrichi le dessin des projets de leurs histoires, de leurs idées. Et c’est ainsi que nous pensons la ville avec et pour ses habitants et acteurs, lors de travaux d’étude urbaines, de reconversions de friches, ou de nouveaux quartiers. Ces expériences montrent que l’on peut sans impact opérationnel (ni en temps ni en argent) créer des lieux ouverts, libres et partagés. Les habitants les regardent comme le fruit de leur propre travail collectif. Ils ne les subissent pas, ils les ont co-construit. Cela fonctionne.
Echanges lors de l’atelier de préfiguration, Plounéour-Ménez / Source : Atelier Bivouac
Il n’y a pas de nouvelle méthode révolutionnaire, qui permette de résoudre les erreurs du passé. Il ne s’agît pas à terme d’écrire une notice explicative du projet partagé. Car si la participation doit permettre l’expression de la complexité humaine alors il faut aborder chaque projet différemment, avec curiosité et gourmandise. Car nous sommes dans un monde en transition, et c’est peut-être là notre nouvel état permanent…
Alors imaginons, essayons, c’est imparfait ? Repensons, et continuons…
« Voici les seules règles urbaines que je connaisse : lorsqu’on marche, ça devient une rue ; lorsqu’on s’arrête, ça devient une place ; on flâne, c’est un jardin, on s’assied, c’est une cour. Ces formes sont des actions profondément inscrites dans l’inconscient de l’habitant. Il nous faut avouer que nous haïssons cet urbanisme de rangement sans forme accueillante et que nous revendiquons le désordre vivant comme le seul moyen rationnel de laisser se produire un paysage.4 »
1. Xavier Sallantin, in Le monde n’est pas malade il enfante, édition O.E.I.L., 1990
2. Edith Hallauer, in edito #1, www.strabic.fr
3. Edith Hallauer, in Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée, édition Acte Sud, 2013
4. Simone & Lucien Kroll 1982