15/03/2023 -

Être(s) architectes - café de l’espace#2

- Un article un peu particulier sur les différentes manières d’être architecte et de faire l’architecture !

ÊTRE(S) ARCHITECTES

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L’architecture est un acte de transformation du monde. Mais par quels moyens l’architecte y parvient-il ? Il construit, ou plutôt il projette, c’est-à-dire qu’il conçoit un projet et met en place les moyens nécessaires pour y parvenir. Mais la construction est-elle l’unique voie pour transformer le monde, ou du moins le regard que l’on porte sur celui-ci ?

Cet article se donne pour objectif de questionner l’action de « faire de l’architecture » et par extension d’être architecte. Il constitue l’avant-propos d’un café-débat, qui aura lieu le 5 avril à 19h au Béaj Kafé à Brest, qui mettra en lumière des trajectoires singulières d’architectes ayant choisi de ne pas forcément bâtir.

État des lieux

Dans l’imaginaire collectif et auprès du public, le métier d’architecte est solidement ancré dans le champ de la construction en tant qu’acteur de la conception architecturale. Son expertise est associée au dessin du projet bâti et au pilotage des acteurs du processus de maîtrise d’œuvre, depuis l’esquisse jusqu’à la livraison du bâtiment. Cette vision du métier d’architecte est appuyée par un corps professionnel (l’Ordre des Architectes) et une formation (en École Nationale Supérieure d’Architecture) qui valorisent encore très largement la figure d’un architecte, exerçant si possible en libéral, sur des projets de maîtrise d’œuvre architecturale.

Les missions et professions endossées par les « formés en architecture » se sont pourtant largement diversifiées au-delà du « spectre de l’architecte traditionnel1 », en écho notamment aux différentes législations et réflexions de l’État sur le milieu de l’architecture2, avec des activités de sensibilisation, de conseil, de participation ou encore d’enseignement et de recherche. Les domaines dans lesquels agissent les architectes connaissent également une extension, à l’image de l’enseignement transdisciplinaire des écoles d’architecture, avec notamment des architectes qui embrassent et/ou empruntent à des champs tels que le design ou l’urbanisme, voire la sociologie.

Cet élargissement des situations d’action des architectes est générateur d’une « zone d’incertitude » autour de l’identité professionnelle et de la définition de ce que serait « faire de l’architecture ». La vision canonique de l’architecte libéral, artiste et chef d’orchestre, « ne va plus de soi aujourd’hui3 » et la profession peine à se réunir autour d’une identité multiple, multiforme et à expliquer ce qu’est un architecte aujourd’hui. Cette position indéterminée fait « pourtant l’objet d’un intérêt renouvelé de la part de différents chercheurs et laboratoires, qui paraissent pointer plus directement la question de la médiation culturelle4 ». De plus en plus de travaux émergent sur l’hybridité des professionnels : architecte-médiateur, architecte-urbaniste, architecte-programmateur, etc… Cette incertitude est également cultivée par une partie des professionnels qui préssentent l’importance pour les architectes d’occuper différentes positions dans la fabrication des territoires, particulièrement dans un monde de la construction fragilisé par une « complexification des processus d’élaboration des projets5 ».

Graphiques tirés du rapport Archigraphie 2022, CNOA

Un contexte instable

L’architecture ne peut s’extraire des sujets et enjeux qui émergent dans la société tant sa mise en œuvre dépasse le simple fait architectural. Une autre conception de la manière d’agir et de transformer les territoires est aujourd’hui demandée aux politiques en matière d’aménagement et aux professionnels engagés dans le monde de la construction, une injonction à construire moins, à construire mieux. Les architectes sont parmi les premiers à être soumis à ces interpellations. Par surcroît, l’espace de la maîtrise d’œuvre est de plus en plus contraint par l’accroissement du nombre d’interlocuteurs et par la « rigidification des cadres procéduraux et des contraintes économiques6 » au sein desquels l’architecte peine à faire reconnaître sa singularité. Pour conserver une légitimité, voire une crédibilité7, celui-ci est amené à reconsidérer sa place, ses positionnements et son identité professionnelle.

La mosaïque des figures de l’architecte, autrement dit la « diversification des situations de travail des architectes8 », est une stratégie intéressante qui permet à celui-ci de cultiver une place privilégiée dans la fabrique des territoires, dans des rôles variés mais toujours sur la question spatiale. En restant toujours dans le giron de la maîtrise d’oeuvre, mais à des positions diversifiées, l’architecte consolide sa place tout en étirant son champ d’action.

« (...) est apparu durant cette période un intérêt accru, notamment de la part des pouvoirs publics et des maîtres d’ouvrage, à voir des architectes accompagner la conception architecturale et urbaine à partir de positions diversifiées9 »

Retrouver du pouvoir d’agir ou se reposer la question du « pourquoi » construire

Au-delà de la question d’opportunité et de stratégie professionnelle que peut représenter la diversification des situations de travail, on constate que certaines trajectoires d’architectes « qui ne construisent pas » sont le fruit d’une posture qui vise à questionner les conditions actuelles de la mise en œuvre de projets, conditions sur lesquelles les architectes ont très peu de prises au moment même de la maîtrise d’oeuvre. En effet, l’architecture est un art de la commande, et l’architecte se voit majoritairement répondre à la question de comment construire plutôt que pourquoi construire (Giancarlo de Carlo).

Infographie tirée du projet horslesmetropoles.org

Cette situation amène de la frustration, voire une perte de sens, chez certains. Ceux-ci se tournent alors vers des situations professionnelles situées en amont de la maîtrise d’œuvre et leur permettant d’influer sur les modalités de mise en œuvre de celle-ci, en tant qu’architecte-urbaniste de l’État, en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage, via le conseil aux communes et aux particuliers voire en investissant le champ de l’urbanisme et des études urbaines.

« (...) à travers ses activités en matière d’urbanisme, l’architecte est confronté aux problématiques impliquant une réflexion plus approfondie de sa part sur la société (...)10 »

Pour ainsi dire, en participant à la mise en place de situations de projet réfléchies, l’architecte cherche à disposer d’un « pouvoir d’agir11 » lui permettant de recouvrer « l’autorité de réfléchir aux choses et d’agir en accord avec cela12 ».

Renouer avec les usagers ou se reposer la question du « pour qui » construire

Cette question de valeurs, voire d’éthique, peut aussi se retrouver chez des architectes ayant fait le choix de mettre au cœur de leur métier la médiation, à l’image des architectes en CAUE ou des professionnels de la participation. Il s’agit de reconsidérer le public visé par l’architecture et la manière dont sont transmises les connaissances et compétences spatiales des professionnels. En effet, nombreux sont les architectes animés par la dimension « d’intérêt public » rattachée à la discipline architecturale depuis la loi de 1977 et dénonçant l’hermétisme entre une communauté professionnelle et le monde réel et soucieux de réveiller « le désir social d’architecture13 ».

La relation entre l’architecte et les usagers finaux du bâtiment subit de plein fouet la complexification du processus de maîtrise d’œuvre, les cadences effrénées des projets ainsi que les contraintes économiques. Exception faite des architectes travaillant pour des particuliers, l’architecte est d’abord en relation avec le commanditaire et très peu, voire jamais, avec les habitants ou usagers futurs du projet. La mise en œuvre opérationnelle, et parfois le positionnement idéologique des concepteurs ou maîtres d’ouvrage, laissent peu de place à l’expression d’un régime de démocratie participative et donc à la mise en place d’un « projet processus14 » dans lesquels s’instaure une co-conception entre habitant et concepteur. Cette frustration encouragent des architectes vers la mission de conseil, voire de sensibilisation à l’architecture, dans le but de retrouver un dialogue privilégié avec le public.

Depuis 2007, la formation professionnelle Transmettre l’architecture® a apporté à plus de 250 professionnels des savoir-faire et des méthodes pour sensibiliser à l’architecture.

Mais alors, c’est quoi un architecte ?

Quel est le lien entre un architecte qui construit, un architecte qui conseille, un architecte qui enseigne ? Cette diversification des rôles est-elle synonyme de dilution des compétences et savoir-faire ? Est-elle une tentative de recyclage d’une profession ?

Bien entendu, l’architecte a des compétences propres qui s’incarnent dans des outils particuliers. Le dessin est par exemple un moyen d’expression privilégié entre le professionnel et le public, qu’ils soient élus, habitants ou usagers. Il agit comme un langage commun, une « grammaire15 » favorisant le dialogue. C’est par exemple un médium de prédilection utilisé par l’architecte effectuant des permanences dans le cadre des CAUE. Mais le dessin ne représente qu’une partie du registre des outils de travail utilisés au quotidien par l’architecte et faire de l’architecture ne peut se résumer à la seule question du dessin.

« On ne m’a pas appris à faire de l’architecture, mais à être architecte »

Au-delà des savoir-faire du concepteur, la question de l’ « être architecte », incarné dans une vision du monde particulière, semble être un facteur commun de reconnaissance entre les architectes engagés dans des voies différentes, toujours dans le champ de l’architecture. Cette vision se rapproche de la notion de savoir-être, approche complémentaire à la question des compétences. Un savoir-être peut se définir comme une attitude, qui n’est pas fixe dans le temps, mais qui connaît des moments privilégiés d’évolution : lors de la formation, au sein de son premier emploi, dans des situations professionnelles particulières, etc... En d’autres termes, il s’agit de compléter la duo savoirs et savoir-faire par la manière dont le professionnel les met en action.

Pour l’architecte, il s’agit d’un regard particulier sur les choses qui s’incarne dans une aptitude à imaginer les espaces se transformer, une capacité à faire lien et à appréhender la complexité du monde dans un projet par le prisme de la transdisciplinarité. Cette habileté à appréhender les choses du monde de manière holistique confère à l’architecte une capacité d’action et lui permet de s’inscrire dans des rôles divers dès lors que la question spatiale est au cœur du sujet.

Une difficile reconnaissance

www.victorrr.fr - « Faut-il ouvrir le tableau de l’Ordre des architectes à tous les diplômés des Ensa ? », AMC 2022

Nous employons le mot architecte depuis le début de cet article par conviction, ou peut-être par défi, en sachant que la reconnaissance de la multiplicité des positions prises par les architectes est un débat brûlant. En effet, le port du titre d’architecte est protégé et réservé aux « formés en architecture » ayant effectué leur HMONP16, inscrit à l’ordre des architectes et justifiant d’une assurance professionnelle personnelle. Une différenciation existe cependant dans le tableau de l’ordre avec deux entrées distinctes : un architecte pour la conception, l’aménagement, les travaux, le conseil et un architecte « exerçant une autre activité » telle que l’enseignement, le journalisme, etc.

Cependant, une ouverture plus large du tableau à tous les diplômés des écoles nationales supérieures d’architecture, cristallise des tensions dans le milieu de l’architecture. D’un côté, la reconnaissance de la multiplicité des profils est abordée comme une force pour la profession, tandis que pour les détracteurs de cette ouverture il s’agit d’un affaiblissement et une confusion sur l’exercice de l’architecture.

« N’est pas architecte uniquement celui qui dépose le permis de construire. L’acte d’architecture est extrêmement large. Ne pas se reconnaître entre nous, c’est un problème17 »

Qui fait l’architecture ?

Cet article questionne la pertinence de voir des architectes sortir des missions sur lesquelles on l’attend, dans des situations professionnelles variées. Mais en creux, une autre question est soulevée : l’architecture n’est-elle que l’affaire des architectes ? Nous proposons d’ouvrir le débat par un distinguo entre l’ « être architecte » et l’action de « faire l’architecture ».

Les professionnels agissant en dehors de la sphère de la maîtrise d’œuvre, dans le conseil, la médiation culturelle, la sensibilisation, semblent être animés par une volonté de partage. Leurs pratiques se situent dans une interaction entre les experts autoproclamés de l’architecture : les architectes ; et le reste du monde, trop souvent considéré comme ignorant et incapable de penser l’architecture. Ces professionnels, de par leur engagement, œuvrent à établir des liens entre ces mondes, et à favoriser la prise d’autonomie des acteurs dans un objectif d’émancipation. Cette transmission est parfois vue comme un affaiblissement du point de vue de certains individus qui gardent jalousement leurs compétences de peur de perdre en crédibilité voire en utilité.

Au contraire, nous pensons que l’architecture, ou l’acte de faire l’architecture, n’appartient pas aux seuls architectes et que la société gagnerait à un meilleur partage de la culture architecturale et urbaine. L’architecte, de par son savoir-être, peut agir comme un passeur, comme un « grammairien18 » dont le rôle libérateur peut mener à une autonomie plus forte des habitants sur leur cadre de vie. Dans cette optique, ses compétences sont autant d’outils propices à ce partage de décision et faire de l’architecture ne peut se résumer à construire l’architecture.

Des personnalités comme Patrick Bouchain, dont justement le statut d’architecte fut discuté mais pas sa capacité à faire de l’architecture, milite pour proclamer que tout habitant est architecte. Charge aux professionnels de leur donner les moyens d’expliciter leurs désirs et de penser la transformation du monde.

1. V. Biau, Les architectes au défi de la ville néolibérale, Éditions Parenthèses, Marseille, 2020, page 17

2. Les CAUE (Conseil en Architecture et Environnement) sont nés suite à la loi sur l’architecture du 3 janvier 1977. Celle-ci consacre l’importance du conseil auprès des élus et habitants et promeut la qualité de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement dans le territoire. La Stratégie Nationale pour l’Architecture (2015) accorde une place essentielle au conseil, à la participation et à la médiation dans le milieu de l’architecture.

3. M. Blanc, 2010, Métiers et professions de l’urbanisme : l’ingénieur, l’architecte et les autres, Espaces et sociétés, n° 142, page 140

4. M. Blanc, 2010, Métiers et professions de l’urbanisme : l’ingénieur, l’architecte et les autres, Espaces et sociétés, n° 142, page 140

5. V. Biau, Les architectes au défi de la ville néolibérale, Éditions Parenthèses, Marseille, 2020, page 16

6. Coll., L’architecte médiateur : discours et pratiques de conseil, participation et médiation, Éditions de l’Éclosoir, Ornans, 2020, page 14

7. G. De Carlo, L’architecture est trop sérieuse pour être laissée aux architectes, Éditions Conférences, Trocy-en-Multien, 2022, page 147

8. V. Biau, Les architectes au défi de la ville néolibérale, Éditions Parenthèses, Marseille, 2020, page 119

9. Ibidem, page 16

10. E. Macaire, L’architecture à l’épreuve de nouvelles pratiques : recompositions professionnelles et démocratisation culturelle, Thèse de doctorat de l’Université Paris-Est, 2012, page 15

11. Faisant référence à la notion d’empowerment portée par David Fleming

12. David Fleming in Coll., Ruralités en transition et pouvoirs d’agir, PU Saint Étienne, 2022, page 12

13. Coll., L’architecte médiateur : discours et pratiques de conseil, participation et médiation, Éditions de l’Éclosoir, Ornans, 2020, page 83

14. G. De Carlo, L’architecture est trop sérieuse pour être laissée aux architectes, Éditions Conférences, Trocy-en-Multien, 2022, page 165

15. Y. Friedman, L’architecture de survie : une philosophie de la pauvreté, Éditions de l’Éclat, Paris, 2016, page 57

16. Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en Nom Propre

17. Christine Leconte, présidente du CNOA

18. Y. Friedman, L’architecture de survie : une philosophie de la pauvreté, Éditions de l’Éclat, Paris, 2016, page 57

Références de l’article :

 Coll., L’architecte médiateur : discours et pratiques de conseil, participation et médiation, Éditions de l’Éclosoir, Ornans, 2020
 Coll., Ruralités en transition et pouvoirs d’agir, PU Saint Étienne, 2022
 E. Macaire, L’architecture à l’épreuve de nouvelles pratiques : recompositions professionnelles et démocratisation culturelle, Thèse de doctorat de l’Université Paris-Est, 2012
 G. De Carlo, L’architecture est trop sérieuse pour être laissée aux architectes, Éditions Conférences, Trocy-en-Multien, 2022
 M. Blanc, Métiers et professions de l’urbanisme : l’ingénieur, l’architecte et les autres, Espaces et sociétés, 2010, n° 142
 0. Chadoin, Etre architecte, les vertus de l’indétermination, Presses Universitaires de Limoges, 2013
 Y. Friedman, L’architecture de survie : une philosophie de la pauvreté, Éditions de l’Éclat, Paris, 2016
 V. Biau, Les architectes au défi de la ville néolibérale, Éditions Parenthèses, Marseille, 2020

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